Le RED-S Relative Energy Deficiency in Sport – focus sur les troubles des cycles
La notion de « triade de la femme sportive » apparait pour la première fois en 1992 dans un article du American College of Sports Medecine et se caractérise par un cumul de trois syndromes distincts à savoir un trouble des cycles menstruels, des troubles du comportements alimentaires (TCA) et des troubles de la minéralisation osseuse.
Aujourd’hui, plus de variances ont été introduites et on parle de continuums de troubles du fonctionnement de l’axe gonadotrope variant en fonction de la disponibilité énergétique. On se rend compte que les hommes sont aussi impactés avec des similitudes, même si les impacts sont a priori moins importants. Ainsi, on parlera plus volontiers de « Relative Energy Deficiency in Sport » (RED-S), notion qui apparait pour la première fois en 2014 sous l’impulsion du CIO.
Même si cela est rarement un motif de consultation pour la sportive, il ne s’agit pas d’une situation à prendre à la légère car les effets sur la santé sont délétères notamment sur les os allant de l’ostéopénie à l’ostéoporose mais impactant aussi négativement la santé cardiovasculaire.
Il est donc primordial de savoir détecter les symptômes et athlètes étant dans une telle situation.
La prise en charge nutritionnel joue un rôle angulaire aussi bien au niveau d’un apport suffisant et correct de macronutriments qu’au niveau des micronutriments afin d’apporter suffisamment d’énergie à l’organisme.
Focus sur les troubles des cycles
Il y a quelques années, la perte des cycles menstruelles chez l’athlète était considéré comme normale et pouvait même s’apparenter à un signe de performance, signe que l’athlète s’entrainait de manière intense.
Toutefois, avec l’apparition de la notion de triade de la sportive, cette idée devient fortement controversée et on réalise que cet état à des conséquences néfastes sur la santé des athlètes.
L’étude de De Souza et al. (1) essaye de définir quel est l’impact de l’exercice physique sur de potentiels dysfonctionnements de l’axe gonadotrope chez la femme. L’étude a été faite sur 11 femmes considérées comme sédentaires et 24 femmes sportives courant environ 30 km par semaine. Ces dernières devaient avoir des cycles réguliers compris entre 20 et 35 jours, pas de variation de poids importants sur les derniers mois et aucun antécédent gynécologique.
Des prélèvements urinaires ont été effectués régulièrement pour mesurer les concentrations en LH, FSH et GnRH.
Le tableau ci-dessous résume les résultats.

Ainsi même si a priori, les femmes sportives de l’étude ont leur cycle, il s’avère que ces cycles présentent des dysfonctionnements et cela pour plus de la moitié des femmes sportives de l’étude.
1. Les cycles menstruels
Les ovaires ont deux grandes fonctions qui consistent en la production d’ovocytes de reproduction ainsi que les hormones stéroïdiennes avec principalement les œstrogènes et la progestérone.
La sécrétion de ces hormones est régulée par deux autres hormones : la FSH folliculing stimulating hormon (FSH) et la luteinizing hormon (LH) sécrétées par l’hypophyse, elle-même sous contrôle des impulsions de la gonadostrpohine realising hormon (GnRH).

Figure 2 – Axe hypothalamo-hypophyso ovarien
La pulsalité de la GnRH doit impérativement se situer entre 120 et 60 minutes selon le moment du cycle, il s’agit d’un moyen de communication essentiel entre le système nerveux central (SNC) et le système endocrinien.
Quant a elle, la GnRH est régulée par la kisspeptine qui est un neuropeptide. Si sa pulsalité augmente, la production de LH et la FSH par la glande pituitaire augmentera, a contrario, si la pulsalité est basse, la LH et la FSH diminueront.
Toutefois il existe de nombreuses situations durant lesquelles la pulsalité de la GnRH peut être modifiée. Ainsi, l’adrénaline, la noradrénaline, l’hormone de croissance (GH) ainsi qu’un stress chronique, une dépression mentale, des entrainements intensifs, des troubles du comportement alimentaires pourront perturber la fréquence de la GnRH qui peuvent entrainer jusqu’à l’aménorrhée du sujet, nous parlerons alors d’aménorrhée hypothalamique.
Un cycle normal se définit par 3 phases distinctes et dure entre 21 et 35 jours
La phase folliculaire correspond à la phase de maturation des follicules sous l’action de la FSH, un seul en théorie arrivera à maturité.
Suit l’ovulation, durant laquelle le follicule mûr expulse l’ovocyte sous l’action d’un pic de LH.
Enfin la phase lutéale durant laquelle le follicule se transforme en corps jaune. Ce dernier sécrète une quantité croissante de progestérone. Sans fécondation à l’ovulation, le corps jaune régressera et le cycle recommence.

Figure 3 : le cycle menstruel féminin
2. Les troubles des cycles chez la femme sportive
Nous ne parlerons pas uniquement d’aménorrhée mais d’un continuum de trouble du cycle allant de l’insuffisance lutéale à l’aménorrhée.

Sur une échelle allant du trouble le plus léger au trouble le plus sévère, il y a :
- L’insuffisance lutéale apparait en troisième partie de cycle lorsque l’organisme ne produit pas suffisamment de progestérone pour supporter la phase lutéale et potentiellement l’implantation d’un embryon.
- L’anovulation correspond à l’absence d’ovulation.
- L’Oligo ménorrhée qui se caractérise par des cycles d’une longueur supérieure à 35 jours
- L’aménorrhée secondaire se définit par l’absence de règles après une période de 6 mois et qui fait suite à au moins 3 mois de cycles menstruels normaux (2)
Ainsi finalement des cycles avec une longueur normale n’est pas suffisant pour déterminer si les cycles sont normaux et de qualité. En outre, actuellement, un nombre important de femmes sont sous progestatifs et / ou contraceptifs hormonaux ce qui camoufle de potentiels troubles du cycles menstruels.
3. L’origine des troubles des cycles
Le trouble des cycles chez la femme sportive provient d’un trouble d’origine hypothalamo-hypophysaire.
Longtemps, les deux principaux suspects ont été la pratique du sport en excès notamment avec un accroissement de la production des catécholamines et du stress aigu infligé au corps avec la production de cortisol, ainsi qu’un taux de masse grasse trop faible (la norme chez les femmes devrait se situer entre 25 et 30%). Ainsi, il était dit que la masse grasse minimum chez une femme devait être a 17% et pour mener à un retour de cycles après une période d’aménorrhée, la masse grasse devait remonter au minimum à 22% (3). Toutefois, ces résultats ont été remis en question car il existe de nombreux autres paramètres qui influent sur la pulsalité de la GnRH.
L’étude de Duclos en 2001 (4) montre qu’un individu qui s’entraine régulièrement va développer un mécanisme d’adaptation au niveau de son axe corticotrope en réponse physiologique à l’activité musculaire et cela afin de protéger son organisme contre les effets négatifs d’une production accrue de cortisol. Ainsi, le corps développe des défenses pour lutter contre un excès de cortisol.
Aussi Louks étudie l’impact de l’exercice physique intense et d’une disponibilité énergétique insuffisante sur la pulsalité de la GnRH. La conclusion de cette étude est qu’avec un apport énergétique suffisant, la pulsalité énergétique n’est pas impactée même en pratiquant beaucoup de sport. Mais si la disponibilité énergétique est insuffisante, alors il y a un impact à la fois sur l’hormone thyroïdienne T3, l’hormone de croissance GH, l’IGF-1, l’insuline ainsi que le cortisol.
Il semblerait donc que l’inadéquation chronique entre la dépense énergétique et les apports alimentaires soient la source de trouble des cycles menstruels.
Il y aurait donc un lien entre déficit énergétique et la modification de pulsalité de GnRH.
Des chercheurs se sont intéressés à la leptine. Il s’agit d’une hormone produite par les cellules graisseuses (adipocytes) dont les récepteurs sont notamment l’hypothalamus, le foie, le cœur. Leptine vient du mot grec « leptos » : mince. Elle est aussi des fois appelée hormone de satiété dans la mesure où elle informe le cerveau sur le besoin de l’organisme en énergie et donc en besoin calorique (d’où la sensation de faim). Elle inhibe le neuropeptide Y (NPY). Le NPY est régulateur de l’équilibre énergétique, du comportement sexuel et du rythme circadien mais aussi l’activité cardiovasculaire centrale.
NPY | Leptine |
Augmentation de la prise alimentaire | Diminution de la prise alimentaire |
Baisse de la thermogénèse | Augmentation de la thermogénèse |
Augmentation de l’insulinémie | Augmentation du métabolisme basal |
Augmentation cortisolémie |
L’étude de Laughten (5) met en exergue une concentration de leptine 3 fois plus faible chez les femmes sportives par rapport aux femmes sédentaires. En effet, les femmes réglées, il existe des cycles nycthéméraux de production de leptine alors que chez les femmes sportives aménorrhées, ces cycles sont inexistants.
Un lien direct a été prouvé grâce à l’administration de leptine recombinante chez des femmes aménorrhées. Ces dernières ont retrouvé leurs cycles avec une ovulation et des taux de LH dans les normes. Ainsi la leptine a un rôle primordial dans trois fonctions essentielles : métabolique, reproduction et neuroendocrinienne.
Le déficit de la balance énergétique est le principal suspect dans l’hypoleptinémie.
Toutefois, un taux de leptine bas joue aussi un rôle majeur dans l’apparition de l’ostéoporose dans la mesure où des récepteurs de leptine se trouvent au niveau des os.
Ainsi, même si dans un premier temps, on pense qu’un trouble du cycle menstruel impacte majoritairement la reproduction, l’étendue est bien plus vaste car l’athlète coure aussi des risques de fragilisation osseuse. Dans un premier temps, cela pourra correspondre à des fractures de fatigue mais à plus long terme il s’agit d’ostéopénie voire d’ostéoporose.
La santé cardiovasculaire est aussi à risque.
La pratique du sport en théorie préserve des maladies cardiovasculaires mais dans le cas de la triade de la sportive, il y a un disfonctionnement des fonctions endothéliales, avec une baisse de la production d’oxyde nitrique, qui engendre à terme une diminution des capacités musculaires ainsi qu’une augmentation des risques d’artériosclérose.
Sources
1.De Souza MJ, Miller BE, Loucks AB, Luciano AA, Pescatello LS, Campbell CG, Lasley BL. High frequency of luteal phase deficiency and anovulation in recreational women runners: blunted elevation in follicle-stimulation hormone observed during luteal-follicular transition. Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism 83 : 4220-4232, 1998
2.American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG): Revitalize: Gynecology Data Definitions
3.Menstrual cycles: fatness as a determinant of minimum weight for height necessary for their maintenance or onset. RE Frisch, JW McArthur – Science, 197
4.Effets de l’entraînement physique sur les fonctions endocrines – M. Duclos