Le sportif et le paradoxe d’une mauvaise respiration

80% c’est le nombre de personnes ayant une respiration dysfonctionnelle. Chez les athlètes, cette proportion monte à 90.6%. Seulement 9.4% des athlètes aurait une respiration diaphragmatique correcte, c’est-à-dire une bonne respiration. Ce chiffre provenant de l’étude de Terada et a. (2022) (1) est assez alarmant. Mais pourquoi me direz-vous ?
Chaque jour, vous respirez entre 20 000 et 30 000 fois. Ce qui correspond à environ 10 millions de cycles respiratoires par an, et un milliard au cours d’une vie, c’est énorme. Et pourtant si la respiration est innée, est-elle juste ? Pas certains. Il est rare de se demander si l’on respire bien, ou juste, il est rare d’avoir conscience de sa respiration. La capacité pulmonaire totale est souvent sous utilisée du fait d’une respiration inefficace, chaque jour, c’est très certainement un surplus d’énergie qui vous est demandé.
La capacité respiratoire est finalement un très bon indicateur de la santé des individus. Une personne en bonne santé aura une respiration complète qui utilisera les muscles respiratoires primaires (diaphragme et muscles intercostaux) qui produisent un rythme observable dans la partie haute de la cage thoracique, dans la partie basse de la cage thoracique et au niveau de l’abdomen. C’est ce qu’on appelle la respiration diaphragmatique, elle est associée à une amélioration de la posture, de la stabilité de base et du tronc, de la performance fonctionnelle et la réduction des blessures musculo squelettiques, des douleurs et du stress.
Que se passe-t-il chez une personne avec une respiration dysfonctionnelle ? Elle sera incapable de contracter le diaphragme dans l’amplitude souhaitée, elle devra donc commencer à compter sur des muscles respiratoires accessoires pour respirer, les signes d’une telle respiration dysfonctionnel sont les suivants :
- Mouvements exclusivement situés dans la partie supérieure de la cage thoracique
- Mouvement des épaules
- Réduction des mouvements de l’abdomen
- Expansion latérale de la cage thoracique
Des études ont montré un lien force entre une respiration dysfonctionnelle et l’apparition de troubles musculo squelettiques comme des douleurs dans le bas du dos, des douleurs dans la nuque, une instabilité au niveau des chevilles et des troubles de l’articulation temporo-mandibulaire (mâchoire).
Et pourtant, des performances physiques au top et la prévention de troubles musculo squelettiques devraient être cruciales chez les athlètes afin donner le meilleur d’eux même dans leur discipline et de manière pérenne. De manière générale, il apparait que les athlètes ayant une respiration diaphragmatique ont des niveaux performances accrues aussi bien au niveau physique que physiologiques. Dans la mesure où une mauvaise respiration peut accroitre le risque de blessures, il peut être intéressant de faire de la prévention et de corriger ces schémas respiratoires.
L’équipe de chercheurs dirigée par Dr. Terada de l’université japonaise Ritsumeikan University a conduit une étude complètement novatrice, en suivant les schémas respiratoire de 1933 athlètes sur 3 ans, en utilisant une technologie spécifique: le Hi-Lo test (2). Les scores Hi-Lo évaluait l’existence ou l’absence de respiration abdominale, l’expansion de la cage thoracique de manière antérieure et postérieure, l’élévation des épaules et le mouvement de la cage thoracique supérieur. L’équipe a ensuite classé les athletes en deux groupes, et nous retrouvons les chiffres cités plus haut dans l’article :
91% des athlètes avec une respiration dysfonctionnelle
9% des athlètes présentant une respiration diaphragmatique fonctionnelle.
Parmi les athlètes avec une respiration dysfonctionnelle, il s’avère que 61% des athlètes respirent avec la cage thoracique quasi exclusivement et 39% respire avec l’abdomen uniquement.
Mais finalement, nous ne sommes toujours pas au cœur du problème, car pour un athlète, pourquoi une respiration purement thoracique ou abdominale est problématique ?
Une respiration normale au repos permet un volume respiratoire de 4 à 6 litres d’air par minutes. Si le volume respiratoire augmente au repos, cela engendre une perte plus importante de dioxide de carbone (CO2), et cela aura des répercussions assez délétères sur l’homéostasie générale de l’organisme.
Lors d’une présentation faite à des coureurs lors du marathon de la ville de Dublin, une question simple leur a été posée :
Qui pense qu’une large inspiration accroitra la concentration en oxygène des tissus et des cellules ? Il s’agit de 95% des coureurs qui ont répondu par l’affirmative, on peut donc dire qu’il s’agit d’une croyance endémique, et pourtant, c’est exactement l’inverse qu’il faut faire pour accroître le niveau d’oxygène tissulaire et l’endurance.
Il est assez courant de croire qu’en pratiquant de grandes inspirations au repos et à l’effort, et encore plus quand l’effort devient intense est bénéfique. Mais finalement en faisant cela, on limitera la progression et les performances. (Cela pourrait aussi expliquer pourquoi de nombreux athlètes professionnels pourront être plus vulnérable aux maladies notamment les maladies respiratoires des voies hautes une fois à la retraite voire pendant leur carrière déjà).
Le CO2 n’est pas uniquement un déchet, loin de là !
La concentration en CO2 dans l’atmosphère est assez faible, ainsi lorsque l’on respire ce gaz n’est pas emmené jusqu’aux poumons par l’air inspiré. Nos propres cellules produisent ce gaz lorsque nos cellules convertissent les nutriments (via ce que nous mangeons) et notre oxygène en énergie. La fonction principale de la respiration est de maintenir un volume adéquat de CO2 à la fois dans nos poumons, dans notre sang, dans nos tissus et dans notre sang. Que se passe-t-il si nous accroissons notre sensibilité au CO2 en respirant « trop » ?
- Il y a un lien entre oxygène et globules rouges. Avec la baisse du CO2, le lien entre globules rouges et oxygène devient suboptimale, et la quantité d’oxygène apporté aux tissus et aux muscles sera réduit (cet oxygène est crucial pour la production d’énergie notamment, pour ce qui suive les exploits de Kristian Blummenfeld, il utilise Moxi). Le transport de l’oxygène du sang vers les muscles et les organes. La sur respiration est défavorable dans la capacité du sang à relâcher de l’oxygène. La conséquence est un plus mauvais fonctionnement des muscles et des tissus. En terme un peu plus simple, l’hémoglobine qui est une protéine présente dans le sang et dont la fonction est le transport de l’oxygène, relâchera l’oxygène uniquement en présence de CO2. S’il y a trop d’oxygène en circulation dans le sang et pas assez de CO2, il y aura moins d’oxygène transféré aux organes, muscles et tissus. Avec moins d’oxygène dans les muscles, ils fonctionneront moins bien, l’énergie sera moins bien produite. Ainsi, lorsque l’effort devient trop intense, et que l’on commence à respirer plus fort, l’apport en oxygène des muscles baisse. Au contraire, si les niveaux de CO2 sont plus élevés, les échanges se produiront de manière optimale. Cela est la résultante de l’effet Bohr .

- Une constriction des muscles lisses qui entourent les vaisseaux sanguins et les voies respiratoires, qui causent une réduction de la circulation sanguine et un accroissement de la sensation de « souffle court ». La régulation de la vasoconstriction, et vasodilatation des vaisseaux sanguins et respiratoires. Chez la plupart des personnes, deux minutes de respiration intense auront déjà pour effet de réduire la circulation sanguine dans l’organisme en incluant le cerveau. Chez des individus souffrant d’hyperventilation, le diamètre des vaisseaux sanguins pourra être réduit jusqu’à 50%. Ce phénomène est assez flagrant chez les individus qui dorment la bouche ouverte : du fait d’une mauvaise respiration, le cerveau ne sera plus irrigué de manière optimale, ce qui peut se traduire par des difficultés à se lever le matin, voire des états nauséeux. Le sentiment d’avoir une cage thoracique trop étroit est assez courant chez les sportifs pour cette raison exactement sans qu’il y ait d’antécédant d’asthme (une conséquence d’une hyperventilation chez le sportif est le rétrécissement des voies respiratoires)
- Le pH sanguin change et affectera potentiellement le système immunitaire. En effet, quand vous hyperventilez volontairement dans un exercice d’hyperventilation, vous expulsez trop de CO2, il en va de même quand une personne n’utilise que partiellement sa capacité pulmonaire ou qu’il y a dysfonctionnement de la respiration. La conséquence est une excitabilité neuronale, vous serez agité (ce qui mène au prochain point). La régulation du pH sanguin. La respiration est un élément fondamental dans la gestion du ph sanguin et le CO2 notamment, ce qui est aussi essentiel dans le cadre de performance sportive (3)
- Le stress s’il est persistant entraine une hyperventilation.
- La position assise et sédentaire empêche une bonne respiration
- Le fait de parler en excès pourra baisser le niveau de CO2
- La consommation d’aliments ultra transformés (il y a un lien direct entre nutrition et respiration et vice versa, tu comprends mieux maintenant pourquoi je me suis intéressée à la respiration)
- Une mauvaise qualité de l’air
Finalement de savoir que la respiration a un rôle primordial dans les performances physiques et psychique est déjà une prise de conscience. La respiration vous permettra (en plus des entrainements physiques et de la nutrition) de maximiser votre potentiel dans votre discipline.
Une première étape sera donc de conscientiser la respiration au repos, et de savoir comment vous respirez:
- plutôt par le nez ou par la bouche? Si par la bouche, il pourra être très intéressant d’essayer de respirer par le nez le plus possible (l’usage d’un scotch micropores de chez 3M pour être une option pour la nuit par exemple)
- Est-ce que la respiration se situe plutôt dans le ventre, dans la cage thoracique ou est-ce que vous utilisez l’intégralité des muscles de la respiration.$
(1)Shimozawa Y, Kurihara T, Kusagawa Y, Hori M, Numasawa S, Sugiyama T, Tanaka T, Suga T, Terada RS, Isaka T, Terada M. Point Prevalence of the Biomechanical Dimension of Dysfunctional Breathing Patterns Among Competitive Athletes. J Strength Cond Res. 2022 May 24. doi: 10.1519/JSC.0000000000004253. Epub ahead of print. PMID: 35612946.
(2)Kiesel K, Rhodes T, Mueller J, Waninger A, Butler R. DEVELOPMENT OF A SCREENING PROTOCOL TO IDENTIFY INDIVIDUALS WITH DYSFUNCTIONAL BREATHING. Int J Sports Phys Ther. 2017 Oct;12(5):774-786. PMID: 29181255; PMCID: PMC5685417.
(3)Guyenet PG, Bayliss DA. Neural Control of Breathing and CO2 Homeostasis. Neuron. 2015 Sep 2;87(5):946-61. doi: 10.1016/j.neuron.2015.08.001. PMID: 26335642; PMCID: PMC4559867.